Prendre une pause professionnelle quand on est entrepreneur : tremplin ou torpille?

Si vous fouillez sur Internet pour trouver des articles sur les pauses professionnelles ou années sabbatiques, vous verrez rapidement que les conseils s’adressent dans la majorité des cas à des employés en entreprise et visent à les aider à vendre l’idée d’une année sabbatique à un patron. Mais qu’en est-il des entrepreneurs? Quand on dirige une petite ou moyenne entreprise, et surtout quand on est le seul capitaine à bord, est-il une bonne idée de tout laisser pour une certaine période? Comment faire accepter l’idée aux clients? Comment s’assurer de revenir gagnant de cette période de pause?

En 2018, j’ai pris une telle pause professionnelle pendant 12 semaines, et voici certaines des réflexions et leçons tirées…

D’abord, pourquoi prendre une pause?

Les raisons derrière une année ou période sabbatique quand on est entrepreneur seront essentiellement les mêmes que pour un employé en entreprise : se ressourcer, refaire le plein d’énergie, donner son temps à une cause qui nous tient à cœur, réfléchir à la suite de sa carrière ou peut-être à la façon de la réorienter. Dans mon cas, je sentais un réel besoin d’appuyer sur « pause » et de me vider la tête. Mon entreprise allait bien, mais empiétait de plus en plus sur ma vie personnelle. J’avais besoin de revoir ma façon de faire des affaires.

Même si les raisons de prime abord semblent les mêmes chez les employés et chez les entrepreneurs, les conséquences de la pause pourront être entièrement différentes dans l’un et l’autre cas. En entreprise, un employé dont les supérieurs acceptent de le laisser partir en congé sabbatique aura un emploi garanti à son retour. Pour un entrepreneur, et particulièrement un entrepreneur solo, rien ne garantit que les clients attendront son retour, surtout dans une industrie très compétitive. Mais est-ce nécessairement un « suicide » entrepreneurial que de tout mettre sur la glace pour un temps?

Savoir planifier

Dans son excellente présentation intitulée The Power of Time Off, Stefan Sagmeister dit prendre une année sabbatique tous les sept ans, et explique que sa première année sabbatique est partie sur le mauvais pied, tout simplement parce qu’il n’avait pas planifié du tout ce qu’il allait faire de son temps. Bien que cela puisse en effet être génial de tout simplement partir, lâcher prise et suivre entièrement son cœur, il devient vite évident qu’une certaine structure est requise pour l’atteinte des objectifs liés à la pause. Parce que pour que cette période sabbatique soit fructueuse, il importe de bien la planifier, d’en établir les objectifs précis et de prendre le temps de répondre aux questions suivantes :

·         Qu’est-ce que je veux en tirer?

·         Quelle est la principale raison de me retirer de mon entreprise pendant cette période?

·         Comment puis-je tout de même assurer la survie de mon entreprise pendant mon absence?

Il est bien sûr tout aussi important de planifier cette période d’un point de vue financier – avoir au départ une idée des coûts, et des moyens et du temps requis pour rembourser toute dette au retour, si dette il y a. Si les retombées de la période de congé en matière de ressourcement, de réorientation, de nouvelles idées et de nouvelle énergie sont positives, il est bien clair que la dette constituera en fait un « investissement » qui pourrait être fort rentable à moyen ou à long terme avec une bonne planification. Ainsi, Sagmeister a retiré de son séjour en Asie (lors de son deuxième congé sabbatique) un renouveau de sa passion pour son travail et de nombreux concepts à appliquer dans la création de ses designs graphiques. L’année de congé a donc été très payante à long terme.

Dans mon cas, le congé de 12 semaines a entraîné une certaine dette, qui a été facilement gérable et qui a valu la peine, compte tenu des avantages tirés de la pause.

Vendre l’idée aux clients

Maintenant que vous avez décidé de partir et avez bien planifié ce que vous ferez de votre temps, vous suffit-il ensuite de dire à vos clients : « Je m’en vais, à bientôt »? Contrairement aux annonces de loterie qu’on voyait il n’y a pas si longtemps, on ne peut pas dire au revoir à ses clients comme on dirait « Bye bye boss ». Parce qu’à moins d’avoir décidé de mettre la clé dans la porte de l’entreprise à l’arrivée du congé et de repartir à neuf entièrement au retour, vous voudrez sans aucun doute retrouver (certains de) vos clients à votre retour. Néanmoins, s’il est important de vendre l’idée de la pause et de ses bienfaits à un patron, vos clients n’en auront peut-être rien à cirer de votre projet personnel, sauf si bien sûr vous pouvez leur montrer qu’il aura des bienfaits directs pour eux. Pour les clients, ce qui importera bien avant toute autre chose, ce sera la continuité des services dont ils ont besoin.

Il est donc important de 1) leur expliquer la longueur exacte de votre absence; 2) leur fournir une raison positive de votre absence (ressourcement, stimulation de la créativité) pour éviter de laisser planer des incertitudes quant à votre retour; et, fait très important 3), ne pas les laisser entièrement en plan. En fait, si vous pouvez assurer qu’il y a une personne ou une petite équipe qui reprend vos clients pendant votre absence, de sorte que ces derniers n’ont pas à chercher un autre fournisseur, vous aurez la situation idéale.

Stefan Sagmeister ferme carrément son entreprise quand il part en congé sabbatique, mais il a acquis au fil des années une notoriété internationale qui doit lui assurer une clientèle assidue. Ce n’est pas le cas de bien d’autres entrepreneurs. Ce n’était certainement pas mon cas. Mais ça ne devrait pas empêcher de petits entrepreneurs de se payer un congé sabbatique si un tel congé correspond à leurs besoins. Il suffit avant de partir de s’assurer de la présence de collaborateurs.

Collaborer sans se faire voler ses clients

C’est la question qui tue. Comment puis-je partir sans me stresser, laisser mes clients entre les mains d’autres personnes et reprendre mes clients à mon retour? C’est là, naturellement, qu’il y a toujours le plus grand risque, d’où l’importance de travailler avec des collaborateurs qu’on connaît depuis un certain temps, en qui on a confiance, et avec qui on peut établir des règles du jeu. Il est bien sûr toujours possible aussi que le client préfère travailler avec l’un des collaborateurs plutôt que de revenir vers l’entrepreneur d’origine à son retour de congé sabbatique. Si vous aimez votre travail et y excellez, si vous avez de bons collaborateurs et si vous expliquez bien la situation à vos clients – et si vous optimisez les bienfaits de cette pause – vous devriez retrouver à votre retour une clientèle semblable et être en mesure de faire prospérer votre entreprise. Et qui sait, le petit « ménage » qui pourrait s’être fait pendant votre absence dans votre clientèle pourrait aussi être bénéfique.

Mon expérience personnelle

Je suis partie pendant 12 semaines à l’automne 2018. Fatiguée, ayant besoin de me ressourcer et de me recentrer, mais aussi étant désireuse de parfaire une autre langue, j’ai décidé de passer du temps en Asie (surtout au Japon). Je voulais également sortir de mon cadre de travail devenu trop exigu et rigide. Je rêvais en effet depuis longtemps de devenir travailleuse nomade ou semi-nomade (digital nomad), et j’avais besoin de tester ce mode de vie à petite échelle, avant de me lancer à grande échelle comme travailleuse sans lieu de travail fixe, c’est-à-dire libre de travailler où je veux. J’ai pu me trouver d’excellentes collaboratrices qui ont su assurer la continuité en partie pendant mon absence, et la majorité de mes clients ont accepté ce congé, et sont revenus vers moi à mon retour. L’expérience a pour moi été très concluante, et je sais maintenant sans l’ombre d’un doute que je désire ce mode de vie nomade et que je peux le mettre en place. Je suis également revenue avec des idées pour renforcer mon entreprise et avoir un plus grand impact sur les résultats de mes clients, ainsi que des idées de projets personnels gratifiants qui pourront aussi un jour, peut-être, avoir des retombées en affaires. Je suis revenue reposée, pleine d'énergie et prête à relever de nouveaux défis.

 

Prendre une pause professionnelle quand on est entrepreneur n’est pas nécessairement un « suicide » commercial. Comme tout projet, il est important de bien le planifier, de se poser les bonnes questions et de mettre en place avant le départ les mécanismes qui faciliteront le retour et assureront le succès par la suite. Les retombées d’une telle pause peuvent vraiment valoir les risques encourus, et bien plus!


NomadismeDenise Bérubé